OFF du ON

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Chassol [Galerie des Galeries, Paris, juin 2014]

La galerie des galeries est un espace dédié à l’art contemporain au sein des Galeries Lafayette. Les princesses émiraties, les oligarques russes ou les communistes-capitalistes chinois n’y mettent probablement jamais les pieds, sauf peut-être pour investir dans des œuvres à fort potentiel spéculatif. Le lieu sert de prétexte à l’un des shopping malls parisiens de l’industrie du luxe pour se connecter à la création artistique, stratégie de distinction avec trait de continuité chic entre les deux univers, auto-célébration cynique et amère victoire de la sociologie critique. Dans l’exposition ON / OFF de Xavier Veilhan, le ON consiste en la programmation de concerts de groupes de différents horizons (Zombie Zombie, Juniore, Tristesse Contemporaine, etc.). Pour le OFF, pendant créatif du projet, « le public circule dans un environnement total créé à partir de stands de marques de luxe des grands magasins ». On n’a rien vu de tel. Difficile d’apprécier dès lors la « proposition artistique » d’ensemble, même si la barre oblique et l’antonymie invite surtout à spéculer justement sur l’absence de liens entre tout ça… autre qu’opportunistes ? Ce soir de juin, c’est au tour de Chassol de se produire.  Entrée libre sur simple réservation, bières à volonté en open bar et nice people partout : on se sent plus à un vernissage qu’à un festival avec clôture sécurisée, public captif obligé d’acquérir les jetons de monnaie locale pour satisfaire ses besoins primaires dans un choix restreint de produits de marques partenaires.

Assister à un concert dans une galerie ressemble à voir un film dans un musée. Les conditions acoustiques sont loin d’être idéales. Les spectateurs sont des spectateurs. Le comble de la tautologie est atteint quand tel religieux vous enjoint de vous taire comme si vous étiez à la messe. C’est une performance. C’est exceptionnel. C’est de l’Art. Incline-toi et boucle-la, bordel ! Certes, la prestation de Chassol pourrait être résumée dans ce que les publicitaires et/ou artistes contemporains nomment un « concept ». Le Martiniquais a joué l’intégralité de son album India More au piano devant les vidéos de son voyage musical en boucles sonores, doublé d’un batteur pour renfoncer la rythmique. Cette tendance à rejouer la totalité d’un album en live est déjà un vieux gimmick, popularisé par les soirées estampillées « Don’t Look Back » dans lesquelles, à partir du milieu des années 2000, des groupes aussi divers que Belle & Sebastian, Public Enemy, Sonic Youth, récitaient sur scène leur albums les plus fameux de la première à la dernière seconde, énième symptôme de la retromania. Pour Chassol, il est peut-être un peu tôt pour prétendre à l’anthologie rétrospective. On pourrait plutôt l’attacher à une tradition séculaire soucieuse de l’interprétation exacte des standards, du jazz à la musique classique. Ceci étant dit, que cherche-t-on à vivre quand on se déplace à un concert ? C’est moins l’exactitude et la précision que cet instant où l’expérience directe vient les perturber. Ou, comme on pourrait le dire dans un langage adapté à la compréhension des publicitaires et/ou artistes contemporains, un concert qui n’est que la répétition du même a moins de chance de créer un choc mémorable qu’un autre où se joue et s’entend la différence dans la répétition. Et, pour le coup, Chassol a entretenu la frustration jusque dans la « troisième partie » de sa mise en scène très réglée, avec son envol Odissi qui effleure la folie qu’aurait pu être cette cavalcade au piano si elle avait décidé d’être moins contrainte par le respect de la forme initiale (mouvement, durée, intensité). Brèche finale néanmoins somptueuse, qui imprime un désir de rencontre nouvelle dans un autre contexte, où Chassol se sentirait libre d’être libre. OFF du ON.

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