Trois fois La Femme
Un jour ou une nuit, onze ou douze ans avant 2023… le Versaillais d’Angers me fit écouter Sur la planche. Je ne montai pas dessus. Putain mais c’est quoi cette surf music qui cherche des sensations sur la plage dans le sable dans les rouleaux sur la vague froide ? Le Versaillais d’Angers m’expliquait pourtant que mon dédain n’avait pas d’objet. Il me soupçonnait de tenir en mépris spontané tout ce qui se produisait d’électronique dans l’ouest parisien musical. Il n’avait pas tort car j’avais tort. Les surfeurs étaient à moitié basques, du côté français, et ça s’entendait d’ailleurs puisque contrairement aux Versaillais de la touche française, La Femme ne prétendait pas conquérir le global market en baragouinant de l’anglais filtré par ordinateur.
Un jour ou une nuit, dix ou onze ans avant 2023, le Versaillais d’Angers nous proposa, à Bandes-jaunes-bandes-noires et à moi-même, de l’accompagner voir La Femme dans une salle parisienne arborant pour blason une flèche couleur d’or. Comme d’habitude, Bandes-jaunes-bandes-noires jubilait à l’idée de le suivre (on ne disait pas encore beaucoup follower) et moi je jubilais de savoir que les suiveurs parisiens (on ne disait pas encore beaucoup followeurs) rendirent cette entreprise impossible. Toutes les places étaient vendues. Ouf me disais-je, moi qui ne voulais pas monter sur la planche à sensations sur vague froide. Nous nous satisfîmes de siffler du raki stambouliote à l’hypsoline.
Un matin ou un soir récent, neuf ou dix ans avant 2023, un hasard objectif radiophonique dont la source ou les circonstances sont déjà perdues m’a fait l’effet d’un point break. Je suis monté sur la planche. Certes, un peu comme un mouton ou, comme on ne dit déjà plus aujourd’hui, un followeur, mais quelques nanosecondes avant la horde lancée à l’écoute de La Femme par Canal Pute (ou les Zinroks ou etc.) avec leurs injonctions comminatoires en habits de Panurge. Pourtant, cette écoute renaissante dépassait vite la passion froide du surf à Hossegor pour l’amour inconditionnel des transports en commun : Anti Taxi milite en effet pour les bus, avec un impact sur la future campagne municipale de 2014 à mon avis totalement négligeable, et considère les tacos « beaucoup trop dangereux » et « beaucoup trop douteux » (en tout cas pas à Paris, Bangkok, Conakry, où ?). It’s time to wake up et de dépasser ma méprise biennale : je suis tombé amoureux de cette rengaine pré-post-apocalyptique qui redécore la Californie 2023 d’une autre couleur que celle dépeinte par 2Pac et Dr Dre, sans pour autant emprunter le cuir australien de Mel « Mad Max » Gibson. Nous étions deux consacre l’amour libre comme un symptôme de fièvre jaune, aucun vaccin connu. La femme ressort finit de me conquérir avec sa voix qui segmente, son rythme répétitif, ses propriétés élastiques mécanico-frénétiques. Et au final, j’assiste avec un sourire placide au spectacle du suicide gothique de Saisie la corde et, bien que Welcome America nous enjoint à tous « fuyez cette femme », La Femme – titre éponyme du groupe – « vous tend sa main blanche et si vous la saisissez, ce sera le frisson de votre vie ouhouhouhou hou ouhouhouhou houuuuuuuuuuuu ».
Le Versaillais d’Angers a souvent raison mais sait nous embrouiller sciemment avec ses références, listes de noms, dates, lieux, données croisées dynamiques. Il bétonne un mur d’érudition pop où affleurent dans les fissures quelques quelques oracles énigmatiques, parfois si mystérieux qu’ils ne sont même pas visibles, ni même formulés explicitement. Un jour ou une nuit, des dizaines d’années avant 2023, le Versaillais d’Angers savait que je serais conquis par la Femme, selon le vieil augure que toujours trois sans deux. Et derrière sa fierté discrète d’avoir eu raison avant tout le monde, et avant Bandes-jaunes-bandes-noires parmi tout le monde, je devine une autre de ses maximes inouïes mais accessibles à la conscience télépathique, que bien des calembourgeois de la rock-critic de France (sic) lui envient :
La Femme est le no future de l’homme.