oui et non

Si o No

 

Oui. J’avais envie de parler de ces belles petites salopes qu’on voit partout , affiches, télé, ciné, web, dans le dernier film de Harmony Korine, film devant lequel j’ai sans doute été traîné par activation de stimuli dans mon cerveau reptilien du fait d’une campagne de promotion massive et agressive pleine de belles petites salopes aguicheuses. Non ?

J’avais envie de dire que malgré la platitude du sujet qui n’est original que pour des français cultivés (péteux de journaleux qui ne font même pas allusion à 2LiveCrew et ça se dit « culturés » !), j’avais envie d’avouer avoir été embarqué par ce montage vulgaire pop MTV gonzo avec musique électro-chromatisante (c’est à dire Skrillex / Cliff Martinez, ask David B. or the Pitchfork website for the original soundtrack) et ses rechargements de culasse récurrents comme ses flash-forwards pré-subliminaux façons Lost, car perdues sont ces belles petites salopes dans leur dérive de Spring Breakers avant d’être prises en main par un Vanilla Ice abreuvé au Crunk et au Miami Bass Sound.

J’avais envie d’esquisser un parallèle entre la dérive meurtrière vidéo game de deux belles petites salopes sur quatre avec celle des deux jeunes baltringues de Gomorra qui ont, ce n’est même plus curieux tant la gangsta culture est devenu mainstream, les mêmes rêves de destin à la Tony Montana (Scarface, référence décidément absolue, transnationale et transhistorique), qui se défoulent aussi en maillot de bain avec des big guns, qui se trémoussent avec la même passion pour la teen pop commerciale et naïve, ici Britney Spears, là de la varietoche italienne.

J’avais envie de signaler comment, bien après les allégories de anal finger « à 5 cm près » de Cronenberg dans eXistenz, la porn-culture se fait de moins en moins métaphorique avec cette « fellation NRA » imposée par les belles petites salopes à James Franco et à sa dentition Grillz, qui peut bien rivaliser en grivoiserie littérale avec cette trouble séquence de Killer Joe et le désormais fameux « KFC blow job » de Matthew McConaughey, plus red neck white trash que Magic City. Mais bon, tout ça, tout le monde le dit ou non, donc non.

Oui, j’avais envie de m’attarder davantage sur No, le dernier film de la trilogie de Pablo Larrain sur la dictature chilienne.

No raconte l’histoire de la campagne référendaire organisée en 1988 par le Général Pinochet pour décider de sa prorogation au pouvoir jusqu’en 1997, qui se résume à une question fermée d’une simplicité plébiscitaire démagogique : oui ou non. Le camp du « non » charge un publicitaire de faire la communication de l’opposition dans l’espace restreint que lui accorde la junte, soit 15 minutes par jour, avant le spot officiel de 15 minutes du gouvernement (le tout bien sûr au milieu de 24 heures de programmes pro-Pinochet).

Le chargé de comm, skateboarder apolitique en instance de séparation d’avec sa femme activiste, va alors imposer sa ligne Carrefour-je-po-si-ti-ve, inspirée de son expertise certaine des techniques de promotion de la consommation de masse de produits industriels (soda, telenovela, etc.) dont le Chili de la fin des années 80 commence à connaître les prémisses, à l’instar de l’Espagne du franquisme crépusculaire. Le « no » devient alors un slogan chantant, consensuel et fédérateur, ce sera « Chile, la alegria ya viene » (qu’aux éditions de la Fabrique on aurait pu traduire par Chili, la joie qui vient). Une campagne qui vaut bien « la force tranquille », « Yes, we can ! », « la France forte » ou « le changement c’est maintenant ».

Le communiquant force les opposants historiques à appuyer sur le bouton reset. Taisez votre amertume, vos rancœurs, vos rancunes, oubliez les meurtres et les « disparitions », c’est trop clivant tout ça, c’est trop « négatif » ! Tournez la page, tournons la page, c’est vrai quoi, y’a d’la joie et du Free Cola ! L’opposition politique s’incline devant le pragmatisme supposé de la communication arc-en-ciel du camp du « No » (cette scène hilarante où un vieux ministre de la junte interroge son chargé de comm pour la campagne du « si » : « mais n’est-ce pas le drapeau des pédés, ça ? » / « – Oh moi j’y vois plutôt une allusion aux couleurs des Indiens Mupuches » / « – Mais alors ce sont des Mupuches pédés ?! »). Et par une ruse hégélienne de l’histoire remixée par Francis Fukuyama, la junte de Pinochet finira par être renversée par la même puissance historique qui l’a mis en place face à Allende pour faire advenir le Dernier Homme (le Démocrate Libéral) et son Environnement Naturel (le Marché et l’État de Droit). L’extension du néolibéralisme peut bien s’accommoder – parfois, souvent – de la démocratie électorale et du respect des libertés civiques, surtout si les dividendes augmentent de manière exponentielle grâce à une société « ouverte » (une ouverture qui ferme d’autres possibilités, mais le Chiapas ou la révolution bolivarienne sont encore bien loin). Le « No » l’emporte donc, la transition démocratique s’enclenche, le passé n’est pas passé…

A l’image, No est profondément laid. A escient. Le film est tourné avec des caméras 80’s qui donnent cette petite touche rétromaniaque, avec son format 4:3 et ses couleurs VHS délavées et coulantes (surtout en plan large, sans doute ignoble pour nos yeux accoutumés à la HD même sur petits écrans de téléphone). Cette astuce esthétique permet de mieux caser dans les séquences tournées des authentiques enregistrements d’époque, tout en assumant de mêler à ce flot continu des personnalités jouant leur propre rôle à 25 ans d’intervalle, ce qui donne cette vision paradoxale de voir un personnage vieilli par un parti-pris vintage mais rajeuni dans la seconde suivante… par une image d’archive. Cette trouvaille formelle ne vide pas le fond à double détente du film. Car la victoire en chantant fait en même temps déchanter, sur l’air dialectique bien connu du « on ne combat pas l’aliénation avec des moyens aliénés » VS « la fin justifie les moyens ». Certes on se libère quand même d’une dictature (échelle collective)… quoique la victoire soit une forme de soulagement amer (échelle individuelle, derniers plans).

D’un point de vue plus immanent, on peut aussi se dire que No est un essai passionnant sur la mise en abyme des effets esthétiques (et éthiques) de ce qu’on appelle les feel good movies voire même, au-delà, un salutaire rappel de comment nos désirs s’arriment à ces insidieuses propagandes cyniques parce flatteuses, flatteuses parce que cyniques, belles petites salopes auxquelles on consent car elles nous caressent dans le sens du poil démocratique. Ou érectile. Non ? Si.

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