Eine deutsche Jugend
à propos de une jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot (2015)
Sentir ta tête exploser (sentir ta boîte crânienne sur le point d’éclater en morceaux)
Sentir ta moelle épinière te remonter au cerveau à force d’être comprimée
Sentir ton cerveau comme un fruit sec
Se sentir sans cesse et inconsciemment et comme électriquement téléguidée
Sentir qu’on te vole tes associations d’idées
Sentir ton âme pisser de ton corps, comme si tu n’arrivais plus à fixer l’eau
Sentir la cellule bouger. Tu te réveilles, tu ouvres les yeux : la cellule bouge.
L’après-midi quand il y a du soleil, ça s’arrête tout d’un coup.
Mais elle bouge toujours, tu n’arrives pas à te dépêtrer de cette sensation
Impossible de savoir si tu trembles de froid ou de fièvre
Impossible de t’expliquer pourquoi tu trembles, pourquoi tu gèles.
Pour parler de façon simplement audible, il te faut faire effort, il faut presque hurler, comme pour parler très fort
Te sentir devenir muette
Impossible de te rappeler le sens des mots, sinon très vaguement
Les sifflantes – s, ss, tz, sch -, supplice intolérable
Les gardiens, les visites, la cour – réalité de celluloïd
Maux de tête
Flashes
Ne plus maîtriser la construction des phrases, la grammaire, la syntaxe.
Si tu écris – au bout de deux lignes, impossible de te rappeler le début de la première
Sentir que tu te consumes au dedans
Sentir que si tu étais libérée, dire ce qu’il en est, ce serait exactement comme jeter de l’eau bouillante à la gueule des autres et les ébouillanter, les défigurer à vie
Une agressivité folle, sans exutoire.
C’est le pire.
Être persuadée que tu n’as pas la moindre chance de t’en tirer : et impossible de faire entendre ça.
Ulrike Meinhof, Lettre d’une détenue du couloir de la mort (1972)